Anthony Delos

« La folie, c’est continuer à faire la même chose en attendant un résultat différent. » Cette définition, souvent attribuée à Albert Einstein, me semble un peu réductrice. 

Par exemple, si vous demandiez à mes parents en 2011, la folie c’était leur fils étudiant qui vidait ses économies pour se faire réaliser une paire de chaussures sur mesure. 

J’eu beau leur expliquer que ce n’étaient pas des chaussures mais des souliers, enfin, plus précisément des richelieus perforés à découpe balmoral, bout droit fleuri, talon légèrement cubain, lisse collante en cambrure interne et externe, double queue de chien (pour le délire) et couture des garants en col de cygne (pour un peu de coquetterie), rien n’y fit. Même l’argument d’autorité échouait : à l’évocation du nom d’Anthony Delos, le regard de mes parents trahissait toujours l’incompréhension et l’inquiétude. Leur fils était-il perdu ? (Spoiler : oui.)

À cette époque, la renommée Anthony Delos était à son apogée. Après son tour de France, le compagnon du devoir avait passé plusieurs années à la mesure de Lobb Paris avant de s’installer à son compte en 2004, dans un premier atelier situé rue Constance à Montmartre. Vous y trouverez aujourd’hui encore une excellente cordonnerie. Entre 2004 et 2011, Anthony a acquis une solide réputation auprès d’une clientèle française et internationale d'aficionados de la botterie et autres obsédés du cousu trépointe.

Pour nos rares lecteurs qui n’ont pas encore eu l’occasion de faire appel aux services d’un bottier, l’opération se déroule en plusieurs étapes espacées de quelques mois, voire davantage selon l’artisan et sa « bande passante » (pour reprendre la novlangue de l’open-space). 

Lors de notre premier rendez-vous, Anthony avait déjà déménagé son atelier aux Rosiers-sur-Loire et recevait ses clients dans une showroom de la rue Volta, très justement situé dans le quartier des Arts et Métiers. Cette rencontre est généralement l’occasion pour l’artisan et le client de faire  connaissance, de se mettre d’accord sur un modèle et une forme, les détails pouvant être ajustés en cours de processus. S’en suit, bien évidemment, la cérémonie de la prise de mesures.

J’étais arrivé avec quelques idées de patronage en tête, dont certaines un peu trop extravagantes, Anthony avait su me guider avec patience et bienveillance. Une fois les idées claires sur le modèle, la peausserie et le montage, Anthony dégaina son mètre ruban, son crayon et se lança dans la prise de mesure de mes pieds. Bien entendu, j’avais anticipé et apporté un soin encore plus particulier au choix de mes chaussettes ce matin là. 

Après quelques mois, vint le premier essayage. Je n’ai pas retrouvé de photo (j’ai pourtant le souvenir d’en avoir publié sur facebook à l’époque…) mais imaginez vous une paire d’essayage avec une semelle en liège, charcutée au tranchet pour s’assurer de la justesse du chaussant.

Quelques mois encore et arrivait la veille de mon anniversaire. Ce jour là, Anthony me remettait enfin la paire finale. Je dénouais les cordons des pochons de coton blanc épais et constatais la finesse du travail qui avait fait la réputation du maître. Une réalisation irréprochable et une précision chirurgicale. Au pied, la sensation unique d’un soulier au maintien étonnamment rigide, pourtant souple quand le pied se plie pendant la marche.

Difficile d’exprimer ce que j’ai ressenti à ce moment là. Dans un film cela aurait correspondu à des gros plans au ralenti sur un air du Duo des Fleurs de Lakmé (mais si, vous le connaissez). J’ai probablement entendu la musique dans ma tête. Il faut dire que mon impatience avait été particulièrement attisée par la nouvelle, quelques semaines plus tôt, qu’Anthony avait remporté le concours de meilleur ouvrier de France… 

Après ce moment suspendu, la vie reprenait son cours : derniers stages, derniers examens, premiers entretiens d’embauche… Mes Delos m’ont accompagné tout au long de ces étapes. Beau soleil ou jours de pluie. Flânerie débonnaire sur les pavés ou sprint dans les escalators du métro. Apéritif estival sur les quais de Seine ou évaluation professionnelle annuelle. 

Mais la vie, contrairement à un flan, se démoule rarement sans accrocs. Heureusement, un bon coup de cirage et les accrocs se fondent harmonieusement dans la peausserie. C’est ainsi que le temps honore d’une patine unique les beaux souliers et ceux qui les portent.  

Parmi les illusions dont se bercent les amateurs de souliers, il n’est pas rare d’entendre qu’une bonne paire bien entretenue peut durer une dizaine d’année, voire toute une vie (surtout quand on dispose d’une flotte de chaussures qui permet une rotation à un rythme pianissime). Mais cette longévité proverbiale doit être tempérée par la nécessité de procéder à un occasionnel changement de patins, voire à un ressemelage. En ce qui nous concerne, le besoin de ressemeler s’est fait sentir en 2018. Moins de dix ans donc, mais pour une paire qui n’a pas été particulièrement ménagée et dont le cuir des semelles n’a jamais été recouvert par des patins de caoutchouc, la performance est honorable. 

Bien entendu, on ne confie pas le ressemelage d’une paire sur mesure à n’importe qui. Après quelques hésitations, un peu de tergiversations, et beaucoup de procrastination, j’ai finalement pris attache avec Anthony l’année dernière. Il m’a confirmé que son atelier assurait toujours le SAV malgré son rachat par Berluti, en 2012. Ce qui était une bonne nouvelle car, en plus de son savoir-faire, l’atelier avait conservé tout le parc des formes qui y sont nées. Mes souliers ont ainsi pu être remontés sur leurs formes d’origine, et retrouver leur ligne de 2011 (ah, si seulement ça pouvait être aussi facile pour tout le monde…). 

Je vous laisserai juger des photos (qui datent, vous m’excuserez, j’ai été un peu occupé) de la réception des richelieus ressemelés, mais je les trouve encore plus beaux qu’avant. 

Je ne serais pas complètement honnête avec vous si je ne partageais pas l’épilogue, un peu amer, de cette belle histoire. Après une journée entière de souffrance, je dois me rendre à l’évidence, la morphologie de mes pieds a trop changé pour que les plus beaux souliers qu’il m’ait été donné de porter restent confortables. C’est un peu triste, mais ne dit on pas qu’il vaut mieux avoir perdu l’amour que ne jamais avoir aimé ? Et puis, c’est un très bon prétexte pour s’acheter de nouvelles chaussures, mais je vous en parlerai dans un prochain article...

La Smock Jacket de Yarmouth Oilskin

Note : À notre demande, Yarmouth Oilskins a accepté de nous envoyer les 2 pièces que vous allez décrouvrir.

Dans un précédent article, Marcos rappelait l’héritage de Yarmouth Oilskin et la fabrication locale des produits de la marque britannique. Forcément, chez les Indispensables, ça ne nous laisse jamais insensibles...  

Pour ce nouvel article, j’ai choisi d’essayer l’Explorer smock (vous pouvez dire vareuse si vous n’êtes pas snob, ou si vous l’êtes encore plus) dans le coloris vert fougère, histoire de me changer des deux parkas et quatre Barbour vert olive déjà dans mon placard… Un bleu cobalt est également disponible. 

Cette smock jacket est une version hiver de celle actuellement en vente sur le e-shop de Yarmouth Oilskin, elle sera proposée pour la saison Automne Hiver 23-24.

 
 

L’extérieur de la vareuse est en coton ciré hydrofuge « dry wax ». Le touché est doux et naturel (loin de la toile cirée façon Barbour) et m’a permis de rentrer sec de notre séance de photo sous le crachin parisien. Avec son rembourrage en laine et sa doublure en coton, la veste est très agréable à porter même sans couche intermédiaire, et parfaitement respirante. 

Malheureusement, contrairement à Marcos, je n’ai pas de moto, j’ai donc du me contenter d’accessoiriser ma tenue avec un chapeau, ça tombe bien, il pleuvait ce jour là… 

 
 

Personnellement, je suis fan de la coupe et des détails qui rappellent les anciens vêtements outdoor (on ne disait pas encore gorpcore), comme les empiècements de cuir pour serrer les cordons ou les boutons façon oeil de chat. Les poches ventrales sont assez vastes pour y ranger une carte de la zone que vous souhaitez explorer, ou un téléphone portable XL, et deux poches latérales discrètes sont doublées d’un molleton de coton, pour se réchauffer les mains si vous avez oublié vos gants. 

 
 

La façon est sans fioritures, mais elle respire la robustesse. Cette vareuse est une excellente alternative aux versions vintage originales dont la rareté (et le prix) peut dissuader de les porter au quotidien. 

La seconde pièce de cette essai est le deck trousers. Je l’aurais originellement pris beige (là encore, pour changer de ma pile de chino….) mais il n’était plus en stock au moment du choix. Je me suis donc rabattu sur la version noire, finalement facile à porter. Ce pantalon figurait déjà au catalogue de la marque en 1969 (nice). 

 
 

La coupe est ample au bassin et aux cuisses et se rétrécit légèrement sous le genou (personne ne veut se prendre les jambes dans les cordages). Le pantalon s’enfile sans s’ouvrir et se resserre à la ceinture avec un cordon. Ce qui en fait un pantalon très confortable et facile à porter dans toutes les situations. Je le porte le mien quasi-quotidiennement en fin de journée, après m’être changé en rentrant de l’usine à e-mails. 

Bien entendu, la toile en coton épaisse et la fabrication solide en font un pantalon tout à fait adapté à des situations plus aventureuses qu’une soirée Netflix.

En conclusion, cet essai confirme nos précédentes impressions. Yarmouth Oilskin propose des vêtements de qualité et confortables, parfaits pour crapahuter dans la gadoue, pour affronter les éléments, ou simplement passer un bon moment sans avoir à s’inquiéter de la tournure que prend le ciel. 

Le monde du silence des agneaux, Shetland

 
 

Note : Bosie ont gentiment accepté de nous envoyer le bonnet que vous allez découvrir dans cet article

Texte : Romain @Lastrolab
Photos : Thomas M.


Avec ma condition capillaire, les bonnets (et couvre-chefs en général) ne sont pas qu’une simple coquetterie mais une nécessité pour affronter les éléments. Aussi étais-je ravi d’essayer ce bonnet en laine Shetland par Bosie.

Vous l’aurez constaté, ce bonnet est loin d’être d’une couleur anodine puisqu’il est rouge… A mon sens, deux écueils sont à éviter quand on porte un bonnet rouge.

Le premier piège est la tentation d’assortir la couleur de ses chaussettes (n’en déplaise aux cardinaux qui nous lisent). Bien évidemment, chacun fait ce qui lui plaît (chœurs : « plaît, plaît »), et je n’irai pas jusqu’à qualifier l’accord de mauvais goût. Il a même pu m’arriver d’y céder. Mais la figure de style me semble un peu attendue, d’autant plus quand la couleur est vive.

Le second écueil, bien plus difficile à éviter, est l’association avec un célèbre explorateur océanographique (un certain commandant). En toute honnêteté, je vois mal comment échapper à une ou deux remarques par jour. Vous pourrez toujours limiter la casse en évitant les vêtements à connotation trop marine (exit les cabans, les pulls bretons…) ou exploratrice (rangez aussi les doudounes à capuche fourrée et les parkas en gore-tex), mais le risque zéro n’existera jamais.

De mon côté, j’ai choisi de jouer la sécurité en portant un hoodie d’université américaine (acheté sur le campus svp) et une parka fishtail m65 (achetée sur Vinted, c’est moins impressionnant), dont la capuche est restée au placard.

Comme tous les pulls de Bosie, et comme tout Shetland qui se respecte, le bonnet est en laine filée et tricotée en Ecosse. La laine, rendue délicieusement shaggy après deux brossages, est douce et chaude. La construction « fully fashioned » ne présente aucune couture puisque la maille est entièrement tricotée, avec une côte plus large sur le revers du bonnet.

A 35 livres sterling, il faudra se lever tôt pour trouver mieux ailleurs. Et qui se lève tôt, SE COUSTEAU ! *lâche le micro*  

 

J.Crew Giant chino

 
 

Texte : Romain @Lastrolab

Vous avez peut-être senti cet été la petite secousse qui a interrompu le ronronnement de la mode masculine. Vous êtes plus probablement passé à côté car vous étiez en vacances en train de prendre vos negroni en photo et car l’épicentre se trouvait sur la côte Est des Etats-Unis, à New York. 

Le 25 juillet dernier, la marque américaine J. Crew publiait en ligne son look book pour la rentrée 2022. En soi, la nouvelle aurait pu être un non-événement. La marque qui a connu ses heures de gloires dans les années 90 était en perte de vitesse ces dernières années et a frôlé la banqueroute en 2020. 

Depuis les années 2000, J. Crew est connue pour son fameux costume « ludlow ». Un costume modérément slim fit, pantalon taille basse et veste ras les fesses. Une entrée de gamme accessible financièrement et géographiquement (quelques 127 boutiques quadrillent les Etats-Unis) devenue un classique pour le jeune américain soucieux de se différencier de son père et de son costume Brooks Brothers. 

Alors pourquoi l’annonce de cette nouvelle collection a été au centre des conversations estivales ? Car il s’agissait de la première collection conçue par Brendon Babenzien. Si le nom de ce natif de Long Island, NY, ne vous parle pas, peut-être que son parcours vous permettra de mieux le situer. Après une quinzaine d’années à la tête de la création chez Supreme, Monsieur Babenzien dirige depuis 2015 sa propre marque, Noah. Un profil streetwear séduisant pour J. Crew à la recherche d’une image neuve.

Les attentes étaient donc hautes. Si, à la sortie du look book, une bonne partie des commentateurs se sont exclamés « J. Crew est de retour ! », certains se sont aussi demandé « J. Crew est de retour ? ». Pour un petit français qui n’a jamais connu la marque, la question revêt assez peu d’intérêt. Comment J. Crew pourrait être de retour sans jamais avoir été là…

En parcourant le catalogue en ligne, une chose est sûre, la marque a su saisir l’air du temps. Les looks mélangent un vestiaire traditionnel avec des pièces d’origine work/streetwear qui n’est pas sans rappeler Noah (au hasard) ou Aimé Leon Dore, avec qui il est difficile de ne pas faire de comparaison, voire Drake’s (dans une traduction au vocabulaire plus européen). D’ailleurs, cette nouvelle esthétique décevra probablement les adeptes des moodboards des années 1990 (#oldjcrew). 

Bien sûr, s’il fallait placer le curseur chez J. Crew, il serait davantage du côté preppy ou ivy que streetwear. Les imprimés sont plus sages que chez ALD ou Noah. Les mannequins rigolent gentiment sur le ponton de leur maison au bord du lac au lieu de fixer l’appareil photo d’un air défiant. On veut bien s’encanailler mais restons quand-même en Nouvelle Angleterre. 

Par curiosité, je suis allé regarder ce qui était disponible sur la boutique en ligne lors de la sortie du lookbook. Quelques pièces ont  attiré mon attention (des chemises aux imprimés cachemire, un pull en coton à grosse maille…), mais parmi les produits proposés, rien ne me paraissait combler un manque grave dans ma garde-robe et justifiant un achat. C’est logique, la marque s’adresse au grand public. Les obsédés du vêtement, eux, n’ont pas attendu 2022 pour acheter un sweat de rugby, une chemise en oxford, un pull façon shetland ou un chino... 

À propos de chino, un modèle en particulier a fait couler beaucoup de pixels à sa sortie : Le Giant Chino. Parmi ses coupes de chino, de la plus ajustée à la plus droite, J. Crew a sorti de ses archives le Giant Fit. Je connais mal l’histoire de la marque, mais la résurrection du Giant Chino semblait être l’événement dans l’événement. Ce qui tombait bien car j’étais à la recherche d’un chino sans pli à la coupe ample, dans l’esprit des officer chinos de Ralph Lauren, et surtout de leur version originale de l’armée américaine (on y revient toujours). Finalement, l’achat se justifiait.

Quelques semaines et 120 € (80 $ sur le site US...) plus tard, le chino tant attendu était là. Et c’est tant mieux car il était en rupture de stock sur le site. 

Capture écran Twitter, Rachel Seville Tashjian

En enfilant le pantalon, la première promesse est remplie, c’est ample, très ample. La coupe est exactement ce que j’attendais, relativement ajustée au bassin et relâchée de la cuisse jusqu’à la cheville. L’ouverture de jambe est à 26 cm (contre 23 sur le fameux « French Army Chino »). Je m’attendais à un vanity sizing et je confirme que j’ai bien fait de commander une taille en dessous de ce que je porte habituellement (deux auraient même pu s’envisager). La taille est modérément haute, comme il faut. 

La toile 100 % coton est épaisse, ce qui donne une belle tenue au pantalon. C’est justement ce que je reproche au chino de l’armée française : la toile est très légère, c’est parfait pour l’été mais le pantalon devient vite difforme. Ici, au contraire, le pantalon se tient bien toute la journée, la ligne est droite jusqu’à la cheville. 

Chose étonnante, le chino est fini en bas avec un revers de 4 cm. Le résultat est beau, mais je ne sais pas si j’aurais fait un revers sur un chino. Comme le bas est fini, une seule longueur est disponible : 32 pouces. Ce sera trop court pour certains, trop long pour d’autres. Pour moi c’est parfait. En serrant la ceinture, j’exhibe mes chevilles (comme sur les photos), en la relâchant je les couvre. Pour les autres, il faudra rouler à la main ou passer chez le retoucheur.

Le niveau de finition est très bon pour le prix. Sans fioritures, les coutures machines sont nettes et ont l’air solides (notamment la double couture à l’extérieur de la jambe). On apprécie quand même un gançage et une doublure en coton blanc qui apportent une touche de raffinement à l’intérieur. 

Avec un peu de recul, je suis très content de cet achat. La coupe est exactement ce que je cherchais, la qualité est bonne pour le prix. Je peux enfin arrêter de chercher en vain des chinos vintage de l’armée américaine. Bon, peut-être que je garderai un œil ouvert car, ce qui manque au Giant Chino, c’est une petite poche gousset, mais nul n’est parfait.