Le propos de M.Lelys est évidemment personnel et n’engage pas la Maison Arnys.
For The Discerning Few : Pourriez-vous nous parler de votre parcours personnel ?
Dominique Lelys : C’est une longue et belle histoire. Après avoir passé mon bac, j’ai effectué une formation à l’Académie Charpentier et je suis rentré ensuite à l’Ecole Camondo dont je suis sorti diplômé en 1982 en tant que designer et architecte d’intérieur. On peut dire que je suis arrivé dans le monde du vêtement par hasard.
A l’époque mon idole était Philippe Noiret. Un jour, dans un journal qui s’appelait Officiel Hommes, j’ai vu une présentation de sa garde-robe et le nom Arnys revenait très souvent. J’ai donc découvert cette maison et j’ai commencé à me procurer quelques pièces magnifiques avec mes maigres économies. Suite à cela, M. Grimbert a remarqué que je dessinais et m’a demandé de dessiner des motifs textiles. Je ne l’avais jamais fait mais j’ai trouvé l’idée passionnante. J’ai commencé à travailler en free-lance pour Arnys en 1983.
Entre temps, j’ai fait un stage chez Hermès à la fin de mes études et j’avais travaillé pendant un an pour Ralph Lauren ; j’ai aussi réalisé plusieurs projets en mobilier et architecture intérieure. Je me suis donc fait une clientèle de plus en plus étendue dans le monde du vêtement. J’ai notamment réalisé des foulards pour l’Opéra de Paris et j’ai travaillé pour Daniel Crémieux toujours en free-lance. Ces quelques expériences m’ont permis de me faire une petite notoriété dans le dessin textile. Arnys m’a alors proposé de m’occuper de son bureau de création. Depuis lors, c’est-à-dire la fin des années 80, je travaille à temps plein pour Arnys.
FTDF : Comment définiriez-vous votre style personnel ?
D. Lelys : Complètement emprunt de fantaisie dans le classique et à mi-chemin entre le style français et le style anglais. Je m’habille d’une manière très traditionnelle. J’aime le vêtement pour le vêtement. C’est-à-dire que j’aime porter un vêtement adéquat à la fonction. Je vais peut être paraître difficile mais je trouve que cela n’a pas de sens de porter un vêtement de chasse quand on ne chasse pas ou de porter des bottes d’équitation quand on ne monte pas à cheval. De même, je ne porte plus que très rarement du tweed ou du velours côtelé en ville. De plus, en ville, je privilégie les chemises à poignets mousquetaires alors qu’à la campagne je porte des poignets simples.
FTDF : A ce propos, l’univers de la chasse est très présent chez Arnys.
D. Lelys : Oui, je m’y cramponne un peu mais c’est un univers en voie de disparition. On a encore une clientèle pour ça. Donc cela existe encore à travers quelques motifs mais les vêtements dits « de chasse » n’existe pour ainsi dire plus chez Arnys.
FTDF : Quel est le style véhiculé par Arnys ?
D. Lelys : Selon moi, Arnys propose un vêtement très “rive gauche” pour un homme qui sait s’affranchir de certains codes et qui a la culture pour le faire.
FTDF : Peut on dire qu’Arnys est le dernier bastion de l’élégance à la française ?
D. Lelys : Sincèrement je le pense. C’est un style que l’on ne retrouve nulle part ailleurs.
FTDF : Quels sont vos domaines de compétence chez Arnys ?
D. Lelys : Je m’occupe principalement de tout le dessin textile et de la soierie. Je travaille sur l’ensemble de la collection Arnys, même si j’ai des domaines de prédilections comme le sportswear. Il faut tout de même savoir que M. Grimbert se charge de 70% des modèles sportswear. Je m’occupe aussi de la maroquinerie.
FTDF : Cela fait 24 ans que vous travaillez chez Arnys. N’est-ce pas difficile d’évoluer, en termes de création, au sein d’une maison de tradition ?
D. Lelys : Non, c’est une nécessité. La vie est un mouvement. Pour marcher, vous faites un pas devant l’autre. Quand on est dans un milieu très traditionnel, on se sert de ses bases pour pouvoir avancer. Mais on ne peut pas pour autant s’extraire du monde. Donc même malgré soi, on se laisse influencer. Et la mouvance prend sa place naturellement. Je ne crois pas au « génie créatif » ; ce n’est pas en faisant n’importe quoi, à partir de rien, qu’on est génial. Au contraire, c’est en ayant une grande culture qui ne s’arrête pas à un domaine en particulier. Et c’est grâce à cette culture que l’on devient beaucoup plus perméable à tout ce qui se passe autour de soi.
FTDF : On note effectivement qu’Arnys a de plus en plus tendance à s’ouvrir, à communiquer, notamment par les défilés, et à s’adresser à une clientèle plus jeune.
D. Lelys : Tout à fait et cela me semble nécessaire. Nous avions encore cette image d’une maison qui habille les messieurs âgés. Socialement c’était jadis logique car les personnes de 50 ans ou plus avaient le pouvoir d’achat nécessaire pour s’habiller chez Arnys. Mais désormais, la société a complètement évolué et on voit de plus en plus de jeunes hommes fortunés souhaitant acquérir des produits de qualité. Nous devons donc nous adapter à cette clientèle plus jeune, tout en conservant notre « label » de qualité.
FTDF : D’où tirez-vous vos inspirations ?
D. Lelys : Elles peuvent venir de très petites choses. Un jour, j’ai créé un motif de cravate en regardant par la fenêtre et en voyant un fer forgé de balcon. Il n’y a pas de règles. Encore une fois, c’est l’ouverture d’esprit qui conditionne la création. Je suis comme un capteur en permanence et tout peut être source d’inspiration.
FTDF : Quelles sont les pièces emblématiques que vous retiendriez chez Arnys ?
D. Lelys : Evidemment, la veste Forestière qui est extraordinaire et très pratique. Elle a été créée en 1947 pour un architecte français très célèbre. Je crois que c’est le vêtement dont découle tout le reste, avec cette volonté d’affranchissement et de souplesse.
FTDF : A choisir, quelle serait pour vous la période marquante en termes d’élégance ?
D. Lelys : Si vraiment je devais choisir, cela serait l’Angleterre des années 20 à 30. Toute l’ambiance des films de James Ivory comme Chambre avec vue ou Maurice.
FTDF : Quelles sont vos icônes de style ?
D. Lelys : Philippe Noiret était la référence. Désormais, je trouve que le Prince Charles s’habille avec une classe folle et que, contrairement à ce qu’on peut dire, il s’améliore avec le temps. Sinon, il y a l’acteur Leslie Howard, moins connu que d’autres mais que je trouve particulièrement élégant.
FTDF : Quelle est votre définition de l’élégance ?
D. Lelys : C’est un état d’esprit. Je suis à contre-courant par rapport à ce qui se fait maintenant. Il ne faut pas se montrer pour se montrer ; ou alors le faire avec un léger décalage, et toujours avec discrétion.
FTDF : Justement, lorsque l’on est un adepte de l’élégance classique, on ne peut plus être véritablement discret en 2012…
D. Lelys : Vous avez raison. Mais je ne vais pas non plus me travestir par rapport à ce que je suis. Donc je m’habille d’abord parce que cela me fait plaisir ; ensuite, parce que c’est une question de respect dû aux personnes que je fréquente.
La discrétion est plutôt dans le comportement. Après, la question d’assumer telle ou telle couleur, tel ou tel motif, c’est un autre débat.
Chez Arnys, il y a une inspiration des habits du 18ème siècle où l’on pouvait porter de la couleur sans honte. Aujourd’hui, tout le monde s’habille en gris ou en noir… Par ailleurs, beaucoup de gens pensent vivre à travers leurs vêtements. Or, je crois que c’est une erreur terrible. Il faut savoir très bien s’habiller pour finir par oublier le vêtement.
A propos de la discrétion, j’ai un exemple très précis : lorsque Karen Blixen est partie faire ses safaris en Afrique, elle savait qu’elle partait pour longtemps. Elle est allée chez Hermès pour se faire faire une trousse de voyage. Elle l’a fait pour elle, pas pour la montrer ostensiblement dans des pays où d’ailleurs personne n’avait idée de ce que ca pouvait représenter.